Tigre, tigre! – Margaux Fragoso

Synopsis:

Par une belle journée d’été, Margaux Fragoso rencontre Peter Curran à la piscine de son quartier et ils commencent à jouer. Elle a sept ans; il en a cinquante-et-un. Quand Peter l’invite chez lui avec sa mère, la petite fille découvre un paradis pour enfant composé d’animaux exotiques et de jeux. Peter endosse alors progressivement, insidieusement, le rôle d’ami, puis de père et d’amant. Charmeur et manipulateur, Peter s’insinue dans tous les aspects de la vie de Margaux et transforme l’enfant affectueuse et vive en une adolescente torturée. Lyrique, profond et d’une limpidité hypnotique, Tigre, tigre! dépeint d’une manière saisissante les forces opposées de l’emprise et de la mémoire, de l’aveu et du déni, et questionne nos capacités de guérison. Un récit extraordinaire qui dévoile de l’intérieur la pensée d’une jeune fille au bord de la chute libre.

Mon avis:

Je remercie tout d’abord les Editions Flammarion ainsi que le site Priceminister pour m’avoir permis de participer aux matchs de la rentrée littéraire 2012 et de m’avoir fait découvrir cet ouvrage qui ne peut qu’émouvoir.

Au premier abord, après avoir réalisé qu’il s’agissait d’un témoignage et non d’une œuvre de fiction, je craignais réellement d’être incapable de lire Tigre, tigre! jusqu’au bout.

Comme le résumé le révèle, le thème de ce récit traite de la pédophilie et s’attarde sur la relation exclusive et oppressante qu’a vécue l’auteure avec son agresseur qu’elle considérait comme son amant.

Le prologue nous apprend comment l’histoire s’est conclue entre Margaux et Peter et avec effroi, lorsqu’on prend la peine de compter, ce sont tout de même quinze années d’innocence qui ont été arrachées à Margaux. Quinze années! Comment cela a-t-il pu avoir lieu? Nous le saurons en découvrant le déroulement de l’histoire. Cependant, les lignes nous l’annoncent, l’enjeu de ce livre est de taille pour l’auteure car pour elle, il s’agit d’exorciser ses démons.

Nous entrons dans la première partie du roman.

Margaux a sept ans. Vive, rêveuse et hyperactive, elle grandit paisiblement au sein d’un couple aux problèmes communs: le père, Louie, autoritaire, multiplie les aventures et ne le cache pas à sa famille tandis que la mère, Sandy, souffre de psychose et a souvent des séjours à l’hôpital dans le service psychiatrique. Plus tard, sa schizophrénie et/ou sa bipolarité sont évoquées mais Louie, son mari et père de Margaux, fier de son statut social, est une personne qui rabaisse toujours les problèmes des autres, se concentrant surtout sur son nombril. En bref, la famille de Margaux est instable et perturbée; ce qui facilite l’entrée dans la vie de Margaux de Peter Curran.

Peter Curran est un type de prédateur courant: il jette son dévolu sur les fillettes issues de milieux à problèmes et en séduisant celles-ci, il leur fait croire qu’elle est extraordinaire et que ses parents ne la méritent pas. Peter Curran est le genre de monstre qui a besoin de dominer mentalement et physiquement ses victimes. Il répond au modèle d’agresseur « charmant ». Il se fond dans un moule, adoptant une apparence de bon samaritain pour mieux perpétrer ses crimes.

Subtilement, l’auteure ne l’admet pas mais nous comprenons que Peter a d’autres victimes à son actif: en effet, comme il sert de famille d’accueil à des fillettes perturbées, son terrain de jeu est toujours rempli. Marié et divorcé deux fois, ses quatre filles refusent tout contact avec lui car leur mère les a enrôlées. Après tout, elles étaient consentantes et avaient l’air d’aimer ça…

Sensiblement, alors que Margaux atteint la puberté et entre dans l’adolescence, Peter relève les enjeux de leur relation: en insufflant à Margaux ses propres idées, il va la convaincre de lui faire énormément de choses qu’une petite fillette de douze ans ne devrait pas connaître à tel point que lorsqu’elle regarde la télévision ou bouquine,, elle a du mal à croire qu’à son âge, il existe encore des fillettes vierges et innocentes. Lui faisant visionner des films pornographiques et participer à des jeux de rôles tous plus malsains les uns que les autres, il va même jusqu’à la faire culpabiliser de grandir. Pour Margaux, il aurait mieux valu qu’elle reste à l’âge de huit ans pour garder l’amour de Peter.

Un jour, son père fait la connaissance de Peter et sentant immédiatement à quel point celui-ci est dangereux, il interdit à sa fille et à sa femme de le fréquenter. Et là, c’est le drame. Pour Margaux, cela signifie la fin du monde. Elle fait des caprices, crie mais rien ne fait; son père reste inflexible. Elle entame alors sans s’en rendre compte une sombre période de dépression où elle cesse de manger, de boire et frôle la mort. Ses parents réalisent la gravité de la situation mais il est trop tard, Margaux est bel et bien sous le joug de Peter. Tous deux ont une relation très exclusive.

Sa personnalité change du tout au tout. Elle se déteste car elle ne correspond plus à l’enfant qu’elle voudrait rester. Elle dépend de Peter sur tous les aspects de sa vie et se montre excessivement jalouse, souhaitant le garder pour elle et en même temps, souhaitant s’émanciper. Elle souhaite laisser derrière elle la petite fille qu’elle était mais lui, lui fait comprendre qu’elle n’a pas le droit de devenir une femme.

C’est un véritable combat qui se livre en elle.

Remplie de paradoxes, elle développe une rancœur envers Peter car elle sent confusément à quel point il la domine, la soumet mais elle ne peut absolument pas, ne veut pas envisager une vie sans lui. Elle ne vit que pour lui. Elle est tellement obsédée par lui que même quand ils se disputent et qu’il la frappe avec une violence inouie ou manque de la tuer en l’étranglant, elle lui pardonne. Elle reste. Car elle est prête à se tuer s’il la quitte. Elle a même failli le faire, arrêtée de justesse par Peter. Le pire surtout, c’est qu’elle sait qu’elle est abusée par lui. Même si elle s’efforce de ne pas y penser, son subconscient, lapsus et actes manqués le montrent. Elle sait. Mais elle dépend complètement de lui. Elle l’aime.

Bien sûr, une telle relation se remarque forcément. Dans le quartier, les gens sentent bien que Peter n’est pas le frère de Margaux mais qu’importe. Et là, nous sommes interpellés.

Pourquoi personne n’a rien fait? Pourquoi personne n’a alerté les autorités? Etait-ce parce que ce quartier était malfamé et mal fréquenté?

D’autres choses nous toquent également et nous fait nous interroger. Les questions suscitées dérangent. Le livre entier dérange mais il est rédigé de telle façon qu’on ne peut pas détourner les yeux (M’enfin, je dis ça mais j’ai sauté les passages sexuels. Le thème me dérange mais là, je ne peux juste pas supporter de lire ça.)

La troisième et dernière partie du livre raconte comment Margaux a réussi à se libérer et à se reconstruire.

Et là, c’est le choc.

J’ai travaillé à briser les schémas anciens et profondément enracinés, le cycle de souffrance et d’abus sous lequel ma famille a ployé génération après génération.

Moi qui venais de lire un document comme quoi, les traumatismes, si tus, sont condamnés à se répéter, j’ai vraiment été sidérée.

Le silence et le déni sont exactement les forces sur lesquelles comptent tous les pédophiles pour que leurs vrais mobiles restent cachés.

Tigre, tigre! n’est plus seulement un instrument d’exorcisme pour son auteure. Il devient un cri d’alerte, de prévention. Il s’adresse directement à nous, pour qu’action soit faite. Les quinze années qu’à vécu l’auteure n’auraient jamais dû avoir lieu impunément.

Le pédophile est coupable mais nous le sommes tout autant. Fermer les yeux contribue à nous rendre coupables.

Les pédophiles sont maîtres en tromperie parce qu’ils excellent d’abord à se tromper eux-mêmes, ils s’illusionnent jusqu’à croire que ce qu’ils font est inoffensif.

Ce livre a été difficile à lire. Non pas à cause du style de l’écriture ou de la manière de raconter qui se trouvent être fluides et bien construits.

Tigre, tigre dérange par son thème et par certains passages. Ceux-ci, racontés avec pudeur, m’ont plutôt glacée d’effroi car l’auteure les décrit de manière scientifique et comme je le confessais plus haut dans ma chronique, il m’est impossible de supporter une telle violence non-violente. Un tel quotidien qui ne devrait pas être.

On m’a demandé d’attribuer une note à cette lecture.

Je n’adhère pas trop à ce genre de système car le ressenti que l’on peut avoir est très subjectif. Une objectivité est impossible quand il s’agit de littérature. Pourtant, il va bien falloir que je le fasse.

Et vous savez quoi? Comme au final, les notations sont arbitraires, décidées sur un ressenti global positif ou négatif, je vais décider que ce livre vaut

16/20

Juste comme ça. Parce que je ne peux décemment pas mal noter le témoignage d’une victime de pédophilie et que je ne peux pas mettre la note parfaite à un livre qui m’a dérangée et dont j’ai sauté des pages.

14 commentaires sur « Tigre, tigre! – Margaux Fragoso »

  1. Très belle chronique! =). C’est un très beau roman poignant et dérangeant, à ne pas mettre entre les mains de tout le monde!

  2. J’ai été étonnée de voir avec quelle facilité ce livre se laissait lire malgré ce sujet terrible !
    J’en suis ressortie perturbée et pleines de questions !

  3. je vois que nous partageons sensiblement la même opinion sur ce livre. Une lecture terrible et tellement bien écrite. C’est difficile de conseiller un tel livre et pourtant, je dirais tout de même qu’il est à lire.

  4. Ce n’est pas pour rien que je ne lis ni les témoignages ni les histoires vraies.. Je n’en ai pas la force. Cela me fait perdre tout optimisme et tout amour pour la race humaine :/

    1. Il y a des oeuvres de fictions aussi qui dépriment et mettent le moral plus bas que terre 😉 Ce livre, par contre, se démarque des autres de ce genre par sa fin. C’est une fin très humaine et avec un message très fort

  5. Terrible, juste terrible… pourquoi j’ai du mal à lire des témoignages… mais là, j’ai l’impression en te lisant que la jeune femme ne tombe pas dans le pathos, mais bien dans autre chose, peut-être bien plus terrible encore que le fait de déclencher chez certains de la pitié (j’ai du mal avec ce mot), ou de la compassion (ça c mieux) : la vérité toute crue, en technicolor sans être édulcorée… pfiou !! je ne suis pas sûre du tout de l’acheter (c le genre de livres vraiment dont je détourne le regard, non pas parce qu’il m’est insupportable, mais parce que… oh c dur à dire dans un com’), mais ça pique en même temps ma curiosité pour tout un tas de raisons… dont l’une est que je suis mère de 3 filles…
    merci de l’avoir choisi et de l’avoir chroniqué, c’est IMPORTANT, tout simplement, autant que pour l’auteur de l’avoir écrit, je pense…

    1. Coucou. Au départ, je dois dire que ce genre de livres ne m’attire pas. La violence du quotidien et le fait de savoir que ces témoignages sont authentiques combinés ensemble sont difficiles à supporter. Pas insupportables dans le sens où ça m’ennuie mais insupportable moralement. (Je comprends tout à fait ce que tu voulais dire, rassure-toi!) Cependant, même si je l’ai voulu de toutes mes forces, je ne pouvais tout simplement pas en abandonner la lecture. Non pas que ça aurait été un manque de respect mais ce livre a ce petit quelque chose qui fait que tu y restes. Il fait sérieusement réfléchir et révolte en même temps contre tous les monstres qui peuplent notre terre.
      C’est un livre très fort dans tous les sens du terme.
      Je suis ravie que tout cet ensemble ait piqué ta curiosité. Ce n’est pas du tout le genre de livres que je conseille d’acheter si tu veux te détendre mais ce n’est pas non plus un livre à bannir. C’est un mal nécessaire, on va dire.
      Donc, si tu décides de le lire, je serais ravie de connaitre ton ressenti.
      Merci beaucoup pour ton passage

  6. Waaah je ne sais pas si j’aurais la force de lire ce livre. Des témoignages j’en ai lu tel que « J’avais 12ans » mais celui ci semblé encore plus dur. Ce que tu dis sur les gens qui détournent le regard est tellement vrai.

    Tu as eu bien du courage pour cette lecture.

    1. Coucou! Je te confirme, ce livre est vraiment difficile. Il n’est pas trash ou quoi que ce soit dans le genre, mais il dérange. On sait que ça arrive tous les jours mais là, l’auteure m’a fait découvrir qu’il était possible pour une victime de tomber amoureuse de son ravisseur au point de ne vivre que pour lui et quand on voit les dégâts que ça lui fait, c’est juste…. dur

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